En ce mois d’octobre, nous vous proposons une trilogie d’articles intitulée L’Homme moderne, trois épisodes autour de trois questions qui nous paraissent révélatrice de ce que nous sommes, nous Hommes du XXIe siècle.
Dans ce premier opus, nous allons nous interroger sur le temps, et notre recherche sans fin de celui-ci.
La course au temps.
Tous les jours nous croisons des personnes qui courent, courent après le temps qu’ils n’ont pas. Courent après le tram, le bus ou le métropolitain alors qu’il y en a un quelques minutes après. Courent après le train, courent après les taxis, courent après le temps perdu. Comme si la vie de chacun devait être optimisée pour que nous fassions le maximum de choses en un minimum de temps, la productivité renforcée.
Et plus nous courons, plus nous parvenons à dégager du temps, plus nous en voulons. Le temps serait un plaisir suprême, mais comme tout plaisir il s’éteint avec l’habitude de l’avoir et la nécessité de le revivre, d’où cette infinie course effrénée.
Le temps, un plaisir, or le plaisir s’oppose au bonheur. En effet, le bonheur est un état permanent, on vit le bonheur, il est un affranchissement, une liberté à l’égard des plaisirs qui enferment dans la dépendance, la frustration selon un schéma: plaisir-fin du plaisir-quête pour le retrouver-frustration qui rendra le plaisir de retrouver ce qui a été perdu encore plus intense et en accroitra la dépendance.
De cette considération, un aparté: ceux qui tente de nous faire apercevoir l’amour comme une suite de plaisir nous leurrent. L’amour est bonheur, le sexe est plaisir. Les deux sont liés en ce sens que le bonheur se manifeste par une tempérance et une maîtrise de ses plaisirs. Souvent on pense aussi que l’amour sans sexe est un bonheur total car affranchi de tous plaisirs, nous pensons au contraire, que le bonheur ce n’est pas renier sa nature, mais la tempérer, la rendre harmonieuse, éviter toute hybris. Par contre, le sexe sans amour, lui est purement plaisir, et donc manifeste une hybris dont la catharsis peut être plus ou moins douloureuse.
Après cette digression, revenons-en à notre propos, le temps, cette recherche du temps serait donc une hybris, une manifestation de notre démesure. Alors que paradoxalement, on réclame toujours davantage de temps pour être plus heureux, accroître nos moments de bonheur, on accroît nos instants de plaisir, pas notre bonheur.
De ce comportement de course frénétique n’en ressort donc qu’impatience, stress, liés à une quête désespéré de toujours plus de plaisirs, d’où la dépendance au temps et un isolement.
Le temps pour soi ou le temps sans les autres.
Un paradoxe béant apparaît, nous courons après le temps en prétextant que nous voulons du temps pour nous. Le paradoxe réside en ceci, que dans notre recherche de temps, dans notre course nous sommes toujours seul, le temps que nous passons à courir, nous le passons avec nous et pour nous.
En fait, loin de chercher du temps pour nous, nous voulons plutôt du temps sans les autres: sans son époux, sans ses enfants qui nous retardent, sans ces gens qui nous bousculent en voulant le même tram que nous, sans ce travail, sans ses collègues, sans personne: que soi.
Et pourtant, ce temps rien que pour soi nous l’avons: le temps que nous passons à courir. Ce temps où nous ne pensons qu’à nous, qu’à notre quête de temps.
Finalement, ce temps après lequel nous courons pour nous consacrer à nous-même, nous pourrions l’avoir en cessant de courir, en prenant le temps. Le temps que nous ne passons pas à courir c’est autant de temps où nous marchons, et pouvons nous recentrer sur nous-même, ce qui est incomparablement plus profitable que courir, qui se recentre sur soi en courant après un tram?
Vivre sans temps: le temps d’avoir le temps.
Nous voilà donc à l’idéal que nous prônons, vivez sans temps (et vivez cent ans). Vivez sans courir après votre temps. Vivez, en prenant le temps, vous courez après du temps supplémentaire pour vous évader du quotidien? Prenez plutôt le temps d’admirer ce quotidien: les paysages que vous traversez en train ou en tram rivé sur votre téléphone ou ordinateur. Admirez cette rue dans laquelle vous passez depuis des années sans prêter attention à quoi que ce soit, découvrez que chaque matin le boulanger vous salue, discutez avec lui, ouvrez-vous au monde.
Cheminez lentement, vous verrez l’absurdité de voir des gens s’agglutiner dans un tram alors qu’il y en a un autre quasi-vide, cinq minutes plus tard. Cheminez lentement, vous pourrez réfléchir calmement à vous même, à ce que vous voulez faire. Cheminez lentement, discutez avec les gens que jusques là vous bousculiez énervé.
Partez en vacances, ne réglez pas à la minute votre séjour, faites une liste des activités que vous aimeriez faire, et si vous n’avez pas le temps de tout faire, est-ce grave? La récompense d’avoir bien fait un maximum est plus grande que celle d’avoir tout fait, et cela fera des souvenirs plus forts et un bon prétexte pour revenir. Prenez des photos, mais prenez le temps de les prendre, laissez votre esprit s’imprégner de ce moment, le souvenir doit être plus puissant que l’image, sinon notre vie ne serait qu’images d’endroits et non souvenir de vécus.
Alors vous me direz, comment trouvez le temps de pouvoir prendre son temps? En cessant de vouloir toujours en faire plus, le bonheur de chaque instant que vous négligiez sera plus grand que les plaisirs que vous espériez pouvoir obtenir en les négligeant. Tempérer vos désirs ponctuels par un bonheur permanent. Cheminez paisiblement, chaque jour vous découvrirez la même rue, avec les mêmes gens, peut-être, mais chaque changements ou choses non encore aperçues vous rendra heureux, et toujours plus maître de votre environnement.
La peur naît de la non-maîtrise, maîtrisez vos désirs pour maîtriser votre temps et votre environnement, apprenez le bonheur.
Nous pourrions dire: laissez le temps au temps. Mais l’Homme préfèrera souvent une course frénétique vers les plaisirs permis pas davantage de temps, plutôt que par le bonheur paisible du temps qui s’écoule.